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"Concepteur et fabricant de textiles à usages techniques et matériaux
composites, Loïc Alirand dirige aujourd’hui trois sociétés : LAP, créée
en 2009, ET-Tech, acquise en 2011, et CTMI rachetée en octobre 2016. Le
Groupe GSL, qui fédère les trois sociétés, peut donc revendiquer la
maîtrise complète de la chaine de valeur, depuis la conception jusqu’à
la commercialisation sur des produits à haute valeur ajoutée, avec une
compétence particulière sur les marchés de l’aéronautique civile et
militaire. Fort de ses expériences passées au sein d’entreprises mondialement
connues, Loïc Alirand ambitionne de poursuivre le développement du
groupe en France et à l’export. S’il reste de manière générale plutôt
discret sur son activité industrielle, ce dirigeant ingénieur textile et
passionné par son métier a cependant accepté de nous présenter ce qui
fait la force de ses entreprises : l’innovation, les compétences
humaines, un positionnement sur les marchés à forte technicité. Vous avez intégré CTMI en 2016, au côté d’ET TECH et LAP,
avec pour objectif de maîtriser complément la chaîne de valeur. Est-il
possible de dresser un premier bilan de synergies déjà mises en œuvre à
ce jour ? L’acquisition de CTMI représente un réel accomplissement
professionnel et personnel, puisque si j’avais déjà pu passer le cap de
la création d’entreprise en fondant LAP, et faire un premier pas vers la
production avec la reprise de ET-TECH, CTMI m’a permis d’acquérir et de
contrôler un véritable outil industriel performant. CTMI est positionnée sur la fabrication de matériaux composites
avancés, à base de fibres de carbone, de verre et de quartz, qui sont
ensuite tissées ou tricotés, imprégnées de résines thermodurcissables.
Nous proposons jusqu’à la fabrication de préformes sèches. Ces dernières
sont d’ailleurs un segment particulièrement porteur pour notre
activité. L’ensemble représente un panel assez unique en Europe de
compétences, avec une grande verticalité de la chaîne depuis la
préparation au tissage, jusqu’à la préforme. Nous formulons même nos
propres résines, ce qui nous permet de revendiquer un positionnement
différenciant important sur le marché européen des matériaux composites.
Aujourd’hui nous réalisons 25% de l’activité avec le secteur de la
défense, 60% avec l’aéronautique civile, et le reste avec l’industrie au
sens large. L’activité d’ET-TECH est dédiée aux « commodities », des composites à
plus basse performances intégrant des tissus à base de fibres de verre,
destinés à nos clients qui font soit de l’infusion, soit des stratifiés
par moulage au contact (wet lay up). Enfin, LAP fournit tous les
marchés de l’isolation (chimique, électrique, thermique) : nous
proposons des textiles dits techniques, qui restent souples mais qui
passent par une phase de fonctionnalisation grâce à divers traitements,
que ce soit de l’enduction type silicone ou du laminage par exemple. Les trois entreprises sont ainsi complémentaires de par leurs différents positionnements. Vous évoluez dans un domaine grand pourvoyeur d’innovations.
Vous aviez annoncé faire de celle-ci un axe stratégique du développement
des sociétés du groupe GSL, comment pourriez-vous la définir
aujourd’hui et comment se traduit-elle au quotidien dans votre
activité ? Le « I » de CTMI signifie Innovation, ce qui signifie bien qu’elle
est ancrée dans les gènes de la société. Très concrètement, une jeune
ingénieure R&D vient d’être embauchée, pour mettre en œuvre la
stratégie d’innovation. Ensuite, je définirais l’innovation chez nous comme pragmatique ; en
effet, même si nous possédons des brevets sur les tissages 3D, il ne
s’agit pas de recherche et développement fondamentale au sens
académique, mais plutôt d’une capacité à apporter des solutions aux
problématiques de nos clients. C’est un équilibre permanent qu’il faut
entretenir entre innovation et production. Nos clients foisonnent
d’idées et nous sommes reconnus pour notre capacité à développer des
« moutons à cinq pattes ». Nos projets sont de façon générale ambitieux, avec une maturité assez
lente car largement destinés à l’aéronautique. Très souvent ce sont des
projets exclusifs, qui permettent de donner à terme un avantage
concurrentiel aux équipementiers et OEM qui nous sollicitent. Concernant d’éventuels projets collaboratifs, ils ne sont que
ponctuels car nous n’avons pas forcément une taille critique pour cela,
en tous cas ce n’est pas ce qui structure l’innovation chez CTMI. Si les entreprises leaders du secteur des matériaux
composites fournissent généralement la matière première telle la fibre
de carbone, les transformateurs tisseurs, tricoteurs, imprégnateurs
comme vous sont encore majoritairement des PME en France. Quels sont
selon vous les atouts et les faiblesses de ce positionnement dans la
chaîne d’approvisionnement aujourd’hui, notamment auprès des grands
comptes comme Airbus ? Si
l’on constate en effet une concentration entre les acteurs du secteur
au niveau mondial, les PME apportent des solutions que les grandes
sociétés ne sont plus en mesure d’apporter, car celles-ci sont très
souvent limitées dans leurs actions par des axes stratégiques définis de
façon mondialisée. Une PME garde quant à elle toute son indépendance,
sa légitimité, et sa liberté de fabriquer les fameux « moutons à cinq
pattes » demandés aujourd’hui par des clients qui peuvent être très
prestigieux. C’est ceci qui nous permet par exemple d’être le fournisseur exclusif
et qualifié chez Airbus pour les préformes des entrées d’air de
réacteurs des Airbus A330, A350 et A380 ; un atelier complet est
d’ailleurs dédié à cette activité au sein de notre usine car le tissu
est tissé chez nous et nous allons jusqu’à la livraison de la préforme
opérationnelle. C’est le parfait exemple d’une petite société qui a su apporter une
solution à une problématique qui était quasi insoluble jusqu’ici. Nous
sommes également fournisseur qualifié depuis longue date pour différents
produits dans le secteur de la défense et du spatial . A nous de
préserver l’équilibre entre la nécessité de garder notre réactivité
dans les développements tout en faisant grossir la société en cadence
mais à un rythme raisonné. Enfin si LAP réalise déjà 80% de son activité à l’export, ET-TECH
50%, CTMI n’en réalise que 10% à l’international. Cela représente donc
un terrain de jeu formidable à envisager pour notre développement futur. Si le marché mondial des composites est en croissance depuis
plusieurs années, notamment grâce aux secteur automobile et
aéronautique, le poids relatif de ces matériaux reste encore modeste
comparés à d’autres. Quels sont selon vous les défis qui restent à
relever pour cette industrie ? Pour le marché aéronautique, les matériaux composites sont dorénavant
partout ou presque : ce marché est arrivé à une grande maturité
technologique. Il est probable que la prochaine génération d’avions qui
volera dans 20 ans contienne un peu moins de matériaux composites tant
aujourd’hui la volonté de mettre des matériaux composites dans les
avions fut forte voire peut être exagérée (d’un point de vue économique
notamment) . Toutefois les prévisions en nombre d’avion à produire
indiquent une forte demande dans les années à venir donc la croissance
devrait rester soutenue . Il faudra être vigilent à la problématique de
recyclage en fin de vie des matériaux composites mais ce problème est
déjà largement appréhendé par la filière même si beaucoup de réponses
restent à imaginer. Le marché automobile est entré dans une phase de pénétration très
forte pour les matériaux composite structuraux. La croissance sera forte
pour les années à venir et on devrait prochainement voir des voitures
grandes série intégrées des matériaux composites structuraux de
dimensions importantes. La filière des matériaux composites continue son chemin très
prometteur avec de nouveaux défis à relever : suivre la demande forte
des clients , intégrer l’eco conception. Pour CTMI , cela représente
énormément d’opportunités, nous ne pourrons pas toutes les suivre. A
nous de choisir le bon cap, là ou CTMI sera le plus pertinent. Votre ADN repose sur trois piliers : l’humain, la technique
et la performance. Finalement, à travers ce triptyque n’avait vous pas
lancé les bases de votre propre « industrie du futur » ? Au sein de ma société, je considère que ce sont effectivement mes
collaborateurs qui contrôlent la technologie ; je ne fais que mettre
cela « en musique » et donner le cap pour continuer à créer de la
performance. L’enjeu de l’industrie aujourd’hui repose sur la formation aux
emplois de demain. Chez CTMI, nous avons chaque année un plan de
formation ambitieux qui renforce les compétences de nos employés, qui
contribue à la création de valeur pour la société mais qui est aussi
soucieux du bien-être du personnel au travers de formation moins en lien
avec nos besoins immédiats. L’humain est au cœur du projet de GSL, de
CTMI et des autres sociétés du groupe. Tous nos salariés ont des
contrats longues durée. Derrière la thématique d’industrie du futur sont également
intégrées les notions de produits et process plus respectueux de
l’environnement, plus durables. Est-ce un domaine sur lequel vous
travaillez ? Nos produits apportent de par leur performances des gains importants
en consommation d’énergie lors de leur utilisation : c’est ce qui a
contribué à leur succès. Ceci dit, on voit bien que les produits
arrivant en fin de vie posent des problèmes de recyclage notamment ;
toute la filière regarde ce problème : chez CTMI , nous avons mis en
place un process de revalorisation de nos déchets (chutes) de fibres de
carbone. Quel est votre sentiment sur l’évolution à venir de l’industrie textile française dans les prochaines années ? Ingénieur textile de formation, je suis devenu un passionné de ce
secteur empreint de créativité, de technicité , associé à un certain
empirisme lié à la grande disparité des matériaux utilisés (fibres
naturelles, chimique, minérales..) C’est un monde sans limite, au
potentiel quasi infini et donc passionnant. Il y a donc toutes les
raisons de rester optimiste pour les années à venir, notamment en France
qui se positionne de plus en plus dans les textiles techniques et
matériaux avancés. Nous avons parlé d’environnement, je voudrai dire un mot sur
l’écologie humaine: l’humain doit rester au cœur de notre projet de
société. Je suis attristé de voir que certaines fibres font parfois
plusieurs fois le tour du monde entre leur récolte, le tissage,
l’ennoblissement, la confection ,la distribution , le tout étant
quasiment systématiquement réalisé dans les zones les moins chères, dans
les pays les plus pauvres, pour générer un maximum de profit aux
grandes marques d’habillement. C’est au citoyen consommateur de
s’informer, de réfléchir à l’impasse où nous mène cette quête insatiable
du toujours moins cher et de bien comprendre que derrière de nombreux
articles confectionnés en Asie , il y a des hommes et des femmes payés
moins de 1US$ / jour sans aucune protection . Quel(le) technologie ou produit vous a surpris ou interpellé ces derniers mois ? Le Flyboard Air de Franky Zapata est pour moi un produit exceptionnel qui est époustouflant. C’est un moyen de déplacement qui est vraiment dans une logique de
rupture totale avec ce qui se fait aujourd’hui comme mode de transport
quel qu’il soit ; il pourrait sérieusement à terme redistribuer tous les
paradigmes établis depuis le « tout voiture » en place depuis 80 ans . Il intègre de la fibre de carbone qui apporte la légèreté et la
rigidité nécessaire à cet overboard. Il est cependant dommage que le
développement de ce produit soit freiné en France par les autorités ;
notre pays aurait sans doute tout à gagner à laisser cette initiative
prendre leur envol et à laisser la créativité de ses inventeurs
s’exprimer pus amplement." Propos recueillis par N. Righi – Octobre 2018INTERVIEW MODE IN TEXTILE